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Nous sommes des travailleuses issues d’associations de promotion de la santé, de l’éducation permanente et d’autres secteurs, réunies au sein du Réseau wallon pour la santé des femmes. En septembre 2022, nous avons pris conscience que la plupart d’entre nous étaient épuisées et en colère face à des logiques maltraitantes que nous rencontrions à différents niveaux.
Cette carte blanche est un cri du cœur qu’il nous paraît important de partager. Elle va dans le sens d’autres formes d’expression qui ont lieu comme la grève du 8 mars, la manifestation du non-marchand qui s’est déroulée ce 31 janvier 2023, ou encore d’autres prises de parole plus anciennes.
La détresse des publics et l’épuisement des équipes
Le contexte social actuel, résultat de la superposition de crises sanitaire et économique ainsi que de l’accueil, a énormément d’impacts pour les personnes que nous accueillons et que nous rencontrons au quotidien. Par ailleurs, le travail de visibilité mené autour des violences de genre accentue la pression sur les associations (notamment féministes) : accroissement des demandes d’aide de la part de victimes, augmentation des demandes de formation ou d’expertise de la part d’autres professionnel∙les ou des politiques.
Face à cette situation, les travailleur∙euses (et les bénévoles) manquent de temps et de moyens pour pouvoir accompagner ces demandes comme elles le souhaiteraient et plus particulièrement celles des personnes en difficulté.
La recherche de fonds et la gestion de cofinancement deviennent alors des incontournables de l’associatif pour, dans le meilleur des cas, assurer la pérennité des projets et des emplois, et dans le pire des cas, tout juste permettre la survie de l’ASBL. Les équipes, les responsables et les travailleur∙euses sont épuisé∙es par ce travail administratif et par cette tension permanente liés au manque de moyens.
En conséquence, nous observons par exemple le départ en maladie ou la démission de personnes compétentes et initialement très motivées. Le remplacement de celles-ci ne va pas de soi : il s’agit de mettre en place des procédures d’engagement, de former des nouvelles recrues et de reconstruire le lien avec les bénéficiaires. Tout cela prend à nouveau du temps et des ressources dont nous manquons cruellement.
Plus globalement, comment sommes-nous censées prendre soin si les mesures encadrant notre secteur nous maltraitent ?
Des appels à projets ponctuels pour régler des problèmes structurels
Concernant les violences de genre, les droits des femmes et des minorités de genre, les discriminations vécues par les personnes issues de l’immigration, le handicap ou encore la promotion de la santé, les intentions politiques se sont multipliées ces dernières années. Des actions concrètes sont rendues visibles dans des programmes ou des plans. Ce qui bien sûr nous ravit.
Néanmoins, leur mise en œuvre passe souvent en une multitude d’appels à projets, peu coordonnés entre eux. Ces financements sont souvent limités dans le temps (annuels) et en ressources. Il en résulte souvent que : soit ces projets s’arrêtent au détriment des bénéficiaires, soit ils sont intégrés dans des agendas surchargés au détriment de la qualité des services et de la santé des travailleur∙euses.
Le travail administratif et de rédaction que nécessitent ces demandes de financement, est énergivore et chronophage. Il s’agit sans cesse de devoir adapter nos réalités de travail aux priorités identifiées par le politique, mais aussi aux multiples niveaux de compétences de la lasagne institutionnelle belge. Et malgré ces efforts, ce travail peut finalement s’avérer inutile dans les cas où le dossier n’est pas retenu ou seulement pour une somme inférieure à ce qui a été demandé, ne permettant pas le réel déploiement du projet.
Enfin, ce système d’appel à projets nous place de plus en plus en concurrence les unes avec les autres, ce qui est l’opposé des valeurs féministes que nous prônons. Il est urgent d’envisager nos services comme complémentaires plutôt que concurrents. Il serait temps d’arrêter de penser qu’au regard des montants reçus et de l’importance des besoins, le secteur associatif aurait le luxe de créer des doublons.
Contrôle versus confiance : pour quelle qualité ?
Lorsque nous parvenons à recevoir des financements, qu’ils soient pluriannuels ou ponctuels, les paiements des subventions arrivent rarement à échéance. Les montants ne sont pas toujours indexés. La trésorerie s’épuise ; des crédits doivent être faits à la banque. La gratuité des services est érodée, diminuant à nouveau l’accès aux publics les plus précaires.
Comment sommes-nous censées prendre soin si les mesures encadrant notre secteur nous maltraitent ?
En outre, les rapports moraux et financiers que nous devons remettre aux autorités sont compliqués à compiler et doivent se conformer à des standards qui diffèrent selon l’institution. Nous devons sans cesse avoir en tête le langage et les règles financières (pourcentage financé, type de pièces justificatives) qui correspond au niveau de compétences.
Tout cela pour clôturer à l’équilibre le budget annuel. Tout cela, sans compter que certaines administrations, accumulant elles-mêmes du retard, nous donnent l’impression d’être des profiteuses et des incompétentes. Tout cela, sans parfois recevoir un retour sur nos actions et leurs résultats, ce qui constitue le cœur de notre travail.
En définitive, nous sommes en colère car les autorités nous délèguent leurs responsabilités sans nous donner les moyens de les exercer. Car elles fixent les priorités et les modalités de financement, sans prendre en compte nos réalités de terrain. Nous ne voulons plus être des sentinelles du détricotage des droits sociaux, des alibis à la participation ou à la parité, au détriment de notre santé, du bien-être au travail et de la qualité de nos services.
Des pratiques politiques et administratives respectueuses à valoriser
Les difficultés que nous soulevons ici, ne concernent pas de la même manière, toutes les associations. Sont plus fragiles les nouvelles associations, les associations strictement bénévoles ou les associations qui n’entrent pas dans les cases politiques et administratives prévues.
Ce système d’appel à projets nous place de plus en plus en concurrence les unes avec les autres, ce qui est l’opposé des valeurs féministes que nous prônons
De même, certains cabinets tentent de dégager des moyens structurels. Certains services administratifs, mieux armés en ressources humaines, mènent un travail de proximité avec les opérateur∙ices et proposent des dispositifs davantage adaptés aux réalités associatives.
Aujourd’hui, nous souhaitons aussi rendre visible des pratiques qui fonctionnent et qui soutiennent le lien de confiance, la qualité de nos services et la santé des travailleur∙euses. Aujourd’hui, nous valorisons les administrations et les cabinets qui :
- proposent des canevas de demande concis et faciles à utiliser et demandent des pièces justificatives proportionnées aux montants octroyés ;
- respectent les délais de traitement des dossiers, nous signifient l’octroi des montants dans les temps et ainsi nous permettent de déployer le projet dans la temporalité initialement envisagée ;
- observent de la souplesse dans la tenue des projets mis en œuvre ;
- s’engagent à ce que des associations qui travaillent sur des problématiques structurelles puissent à moyen terme, se pérenniser, proposer des temps plein et des contrats à durée indéterminée ;
- nous considèrent comme des partenaires et communiquent directement avec nous sans passer par des intermédiaires. Nous apprécions que ces échanges se fassent dans une visée collaborative et de reconnaissance de notre expertise et non pour asseoir un plus grand contrôle sur notre gestion associative ;
- s’engagent à ce que nos associations continuent d’être au service des femmes et des personnes concernées avant tout… et non assujetties aux logiques de projets et de valorisation partisane. Que les femmes et personnes concernées avec lesquelles nous cheminons soient entendues, puissent faire des choix et vivre librement, quel que soit leur degré d’autonomie.
Les signataires
*Le réseau wallon pour la santé des femmes
Et ses signataires : Centre de Planning et de Consultations Conjugales et Familiales Estelle Mazy, Centre de planning familial de Genval, Centre de Planning Familial Le « 37 », Centre de planning familial Soralia Centre, Charleroi et Soignies, Collectif Contraception de Liège, Collectif Contraception de Seraing, Collectif des femmes (asbl), Esenca, Ex Aequo, Fédération des Associations Sociales et de Santé (FASS), Fédération des Centres de Planning et de Consultations (FCPC), Fédération des centres pluralistes de planning familial (FCPPF), Fédération des services sociaux (FDSS), Fédération Laïque des Centres de planning familial (FLCPF), FEDITO Bruxelles, Gaëlle Fonteyne (coordinatrice), Garance, Infor-Femmes Liège (centre de planning familial), La Caravane pour la Paix et la Solidarité, La Voix des femmes, Latitude Jeunes, Les mères veilleuses (asbl), Liages, Marie Herman (assistante sociale et accueillante IVG en centre de planning familial), Meredith Goffin (assistante sociale – chargée de projets), Michèle Warnimont (sage-femme au Cocon), Modus Vivendi, Observatoire du SIDA et des sexualités, Plateforme Citoyenne pour une Naissance Respectée, Plateforme Prévention SIDA, Présences et actions culturelles (PAC), Réseau des services partenaires des maisons de justice, Service éducation pour la santé (SES), Sida-IST Charleroi-Mons ASBL, SIEMPRE asbl-Réseau de femmes migrantes originaires d’Amérique latine en Belgique, SIPS, Sofélia (la Fédé militante des Centres de Planning familial solidaires), SOLSOC, Sophie Godenne, Sophie Meunier (directrice administrative – Service de Santé Mentale), Stephen O’Brien (médecin généraliste en maison médicale et centres de planning familial), Université des femmes, Vie Féminine.